— misty morning (rosa) —

Les nausées … voilà bien une chose qui n’avait pas manqué à Rosa. Ou n’importe quoi de lié à une grossesse, même. Tous ces commentaires disant “la grossesse c’est merveilleux” - oui, elle était d’accord. C’est merveilleux, mais chez les autres. Aujourd’hui - malgré l’heure encore très matinale -, c’était ce qui l’avait tiré de son lit. Elle aurait bien profité du calme de sa chambre encore une heure, d’ailleurs ; mais voilà, cela faisait dix bonnes minutes que Rosa communiait avec la déesse de porcelaine. Les sensations désagréables ne passaient pas, et ses hauts-le-coeur ne l’avaient pas encore submergé.
C’est donc à ce moment-là que la sonnette de sa porte d’entrée retentit. Il lui semblait que ses enfants étaient tous partis passer la nuit ailleurs, à droite à gauche. Sans doute que l’un d’entre eux avait oublié sa clef pour rentrer - malgré ses avertissements. Ils étaient tous grands, désormais, trop tard pour essayer de faire rentrer quoi que ce soit de censé dans leurs caboches déjà bien faites. Pourtant, Rosa jette d’abord un coup d’oeil à son téléphone. Aucun message de la part de l’un d’eux. Étrange. Passant un kimono qu’elle ceint à sa taille, elle entreprend de rassembler ses cheveux en une queue de cheval rapide. Déjà, un deuxième coup retentit. Ce serait tout pour avoir l’air présentable. En même temps, elle n’attendait personne à une heure aussi … trop matinale.

C’est avec un regard exaspéré, destiné au ciel, que la mère descend finalement ouvrir la porte. Le discours furieux déjà préparé à l’encontre de l’un de ses garnements. Elle n’imaginait pas un livreur aussi tôt - ni une scout vendant ses cookies. Alors, lorsqu’elle ouvre la porte et se retrouve face à Cosmo, c’est le choc qui se lit sur son visage.
- Cosmo ? Hors de l’établissement scolaire, elle se montrait capable de prononcer son prénom. Certes, ce n’était pas la première fois qu’elle le découvrait sur le perron de sa porte, mais en général, il venait à des heures plus raisonnables. Genre, en plein après-midi. Je peux savoir ce que tu fiches ici ? Non - Rosa n’était pas du matin. Ni d’humeur à converser avec l’adolescent, alors que ses entrailles faisaient le grand huit.
Jamais il ne lui traversa l’esprit qu’il pouvait être en danger, ou en situation d’urgence qui aurait nécessité un peu plus d’empathie de sa part. Même si elle l’appréciait réellement, elle aurait sans doute préféré passer ses nerfs sur l’un de ses rejetons, plutôt que de feindre joie, calme et sérénité à cet instant. Ce n’est pas une heure pour sonner chez les gens.

Bienveillance et gentillesse ne se sont pas encore frayé un chemin jusqu’aux lèvres de Rosa. Son impromptu visiteur se mange donc sa mauvaise humeur matinale - et elle est bien loin de s’en excuser. Cosmo, sur son perron comme une fleur, là où la mère s’était imaginée trouver l’un de ses enfants. Il était trop tôt pour une visite de courtoisie non annoncée, elle était trop peu vêtue, sous son kimono, pour faire face à quoi que ce soit d’autre que ses nausées.
Si elle tente de se composer un visage, de masquer ses vilaines sensations, elle a sans doute l’air d’une méchante sorcière d’un film Disney. Du vieux grincheux face au scout innocent. Diable, si ça pouvait le faire fuir …
Résultat, elle se fait remarquer qu’il est déjà neuf heures - si la société semblait penser que c’était une heure raisonnable pour aller rendre visite à ses voisins, Rosa emmerdait la société. Et quand il annonce avoir fait un détour chez Jackie, Cosmo finit par titiller la curiosité de la conseillère. Hm ? Jackie ? Pour te faire pardonner de me déranger aussi tôt ou pour te faire pardonner d’autre chose ? Pourtant, Cosmo agite un sac en papier en tentant de lui expliquer ce qu’il renferme.
Son ventre crierait bien famine, si elle était certaine qu’elle ne rendrait pas le petit-déjeuner. D’un autre côté, avait-elle vraiment le choix que de le laisser à sa porte ? Rosa devait bien avouer qu’il avait fait suffisamment d’efforts pour qu’elle lui accorde au moins cinq minutes de son attention.
Oui. Allez, rentre. Ni amant, ni enfant. Même si l’un aurait pu argumenter qu’elle en avait un qui poussait dans son ventre - Cosmo n’était sans doute pas au courant de ce détail et elle n’allait certainement pas le lui apprendre ce matin. Et puis, ce n’était pas la première fois qu’il s’invitait à son domicile, aussi n’eut-elle pas vraiment besoin de le guider jusqu’à sa cuisine.
Elle récupère le sac qu’il lui avait tendu, et en dévoile son contenu sur sa table. Café - dont la simple idée de l’avaler ne la ravissait pas - et pâtisseries, qu’elle poussa devant le nez du lycéen. Mange, ensuite tu me diras pourquoi tu es là. Parce qu’il y avait sans doute une bonne raison derrière ses bonnes intentions, non ? En attendant, Rosa préfère la nourriture loin d’elle - même si elle risque de devoir y planter les dents par respect pour ses efforts. Je reviens. D’un signe, elle désigne sa propre personne, tenue qu’elle comptait bien changer le plus rapidement possible.

Lorsque le lycéen lui rétorque, pour la seconde fois, qu’il n’est pas si tôt que cela, Rosa se garde bien de répondre. Son air pincé suffit. Elle se considérait en vacances, chez elle, alors l’avis de Cosmo, honnêtement, elle s’en tamponnait le coquillard. S’il n’était pas content, il pouvait toujours partir. Pour la même raison, elle ne relève pas son commentaire sur l’heure de son réveil. Il lui semblait plutôt clair qu’elle n’était pas sur pieds depuis longtemps - et elle n’avait sans doute pas le sourire facile, ce matin. Les efforts, c’était déjà à longueur d’année pour arriver au lycée de bonne heure, elle pouvait bien prendre son temps lors de ses congés.
Surtout dans son état.
Pourtant, Cosmo avait déjà fait de la cuisine son domaine, avec des manières qui contrastaient avec ses paroles. Rosa s’excuse, avant de filer se changer. Elle se sentait déjà inconfortable dans sa propre peau, alors dans une telle tenue … il fallait qu’elle s’éclipse, même si cela faisait d’elle une hôte déplorable. Après tout, Rosa ne tenait pas un airbnb, et son domicile ne devait pas figurer sur yelp non plus.

La mère s’éclipse à l’étage, dernier refuge, dernier havre de paix. Elle aurait bien voulu disparaître, dans sa chambre ou sa salle de bains - mais désormais, elle devait composer avec l’adolescent. Elle se contente d’enfiler une robe d’été, fluide et colorée, avant de filer devant un miroir. Bien qu’elle ne comptait pas laisser Cosmo planté des heures seul, elle finit par entendre des airs familiers résonner depuis le rez-de-chaussée. Cela ne l’aurait pas dérangé s’il s’agissait de son téléphone portable … mais cela sonnait plus comme la platine du salon. Le léger trait de liner et sa crème hydratante devraient suffire pour le moment. Elle descend pour la seconde fois de la matinée, le regard tout aussi noir que la première fois.
Etait-ce nécessaire ? demande-t-elle à Cosmo, presque une question rhétorique. Peut-être que la musique, le rythme reggae aidait. Elle retourne à la cuisine, pour constater que l’une des pâtisseries a disparu. Mmh. Elle aurait presque aimé qu’il gobe tout - malgré le fait qu’il les lui ai apportés.
Ses nausées s’étaient momentanément calmées, mais elle redoutait le pire. Elle s’installa à sa table, attendant que le jeune daigne la rejoindre dans la cuisine. Avec un sourire - appuyé, même si elle espérait qu’il ne s’en rende pas compte - elle rapprocha le café et le donuts devant elle. Le muffin était trop copieux - elle le savait sans même y goûter. Avant que le journal ne capture son attention. Merci de me l’avoir amené jusqu’ici. Elle le lirait plus tard - en attendant, il y avait un autre moyen d’obtenir les dernières nouvelles de Twadogs Hill. Qu’est-ce que Jackie raconte de beau ce matin ?

L’adolescent finit par s’immiscer à ses côtés, répondant aux brèves interrogations de Rosa qui essayait de se montrer polie et intéressée malgré les circonstances. Elle fait le minimum, et probablement que Cosmo le ressent - mais elle s’occuperait des conséquences ultérieurement. Il lui semblait que si elle voulait le mettre à la porte le plus tôt possible, il lui fallait montrer son intérêt le plus tôt possible. Râler et le pousser vers la sortie ne feraient sans doute qu’inquiéter l’adolescent, et c’était la dernière chose qu’elle désirait.
Jusqu’à ce que, du fin fond de l’une de ses poches, il n’en sorte la balle anti-stress. Oh … Il lui semblait que cette histoWillowire remontait déjà à si loin, qu’elle en avait oublié l’existence même de l’objet. Il fallait dire que ces dernières semaines, Rosa avait eu d’autres choses pour lui occuper l’esprit et lui torturer les méninges. Rosa s’empare de l’objet, qu’elle dépose sur le comptoir derrière elle. Merci de me l’avoir ramenée. Sans doute que c’était pour cette raison qu’il avait sonné à sa porte ce matin … même s’il aurait pu simplement la déposer avant de repartir.
Elle s’empare enfin du café, plus pour occuper ses mains et donner l’illusion qu’elle appréciait les attentions qu’il lui avait porté, plus que pour le boire. Et surtout, Rosa dévie la conversation sur le sujet Jackie, qui devrait déboucher sur quelques ragots du plus bel effet. Elle écoute donc l’affaire Ruby Eakin, apparemment enceinte selon les dernières rumeurs populaires. Rosa se gardait bien de croire ce qui sortait de la bouche de Jackie, vérité colportée, inventée ou déformée la plupart du temps. Hmm ... Les infos de Jackie ne sont pas vraiment fiables de toute façon … Elle n’en rajoute pas trop - mais clairement, Jackie s’est trompée de cible sur ce coup-là. Et d’un coup, Rosa se sent énorme, malgré l’absence de formes pouvant trahir sa propre condition. Je pense que son frère doit sûrement être une source plus fiable que Jackie, non ? Enfin, elle avait souri, Rosa. A l’évocation d’un Cosmo encore enfant, bien plus turbulent que la normale. Et puis, parce qu’il s’était corrigé.
Aussi Rosa trempe-t-elle ses lèvres dans le café, et s’affaire à découper le donuts en deux. Enfin, rien de bien intéressant dans les ragots du jour. Ce n’était qu’un simple constat. Rosa croque dans la pâtisserie, et avale avant de poursuivre, parler de la pluie et du beau temps, jusqu’à peut-être assommer Cosmo d’ennui. Il va faire beau, aujourd’hui. Tu as d’autres plans de prévus, à part venir me nourrir et apporter mon journal ? Son estomac se contracte un peu et la future mère prend sur elle, regrettant déjà d’avoir mordu dans le donuts.