— ROMAN EAKIN || SIVA KHATRI —

- quand tu pleures pas,
- ça veut dire qu'tu pleures.

c'est qu'il connaît
c'est qu'il sait
comment ça vibre
comment ça transperce le timbre de voix
comment ça devient plat
comment ça s'emballe
c'est qu'il sait
qu'y'a pas de grosses larmes à éponger à l'essui-tout
mais qu'au moins ça roule un peu
dans le creux des joues

- pourquoi pas ?
- j'ai l'droit,
- ils ont pas b'soin d'moi là tout d'suite,
- et j'ai envie d'te parler,
- de -
- j'sais pas,
- toute la nuit.

y'a que le mur pour le maintenir
à défaut de succomber au tournis
se faire le coup du lapin
laisser derrière lui une cascade de rien

- faudrait qu'j'arrête de fumer,
- mais j'sais pas si l'ch'wing-gum à la nicotine,
- ça m'tente.

silence

- j'veux,
- ouais,
- m'marier avec toi,
- vieillir avec toi,
- faire l'tour du monde,
- ou l'tour des usa,
- même l'tour du quartier.

y se marre
regarde les pavés

- inventer des couleurs,
- parce que j'sais qu't'aimes bien les couleurs,
- même si tu t'sapes qu'en noir,
- genre gothique refoulé,
- bcbg qui fait taire la salle quand y s'pointe en r'tard.

y se marre
encore

- putain j'ai vraiment trop bu,
- j'espère qu'j'vais pas gerber.

- peut-être bien, peut-être pas.
- peut-être que j’en ai besoin comme toi t’as besoin d’te mettre une murge.

peut-être qu’il aurait dû se foutre une murge lui aussi. ça fait longtemps qu’il a fait la belle excuse sur son dos. puis qu’il a oublié pourquoi il avait commencé à se siffler la bouteille. peut-être qu’il fait l’effort, qu’il a rien à s’reprocher devant les doses. un poil trop haute, sans garder la langue pendante. ça l’calme. sûr aussi que ça lui remet les idées en place avant midi. quand il commence sous les coups de onze heures et qu’il prétexte une occasion ou une autre.

- t’as l’droit.
- t’as l’droit de tout. une putain de madone je t’ai dit.
- dans un grand cadre doré, tout le monde devrait t’adorer.
- t’as pas-
- t’as pas toute la nuit d’vant toi, siva.

- faudrait,
- mais toi t’aurais besoin de huit patchs sur l’bras avec tout ça.
- faudrait,
- mais il y a que de quoi faire le quartier, à pieds, en décapotable,
- à pneus dégonflés.
- ça me manque.
- t’sais san francisco, ça m’manque. te voir paver de couleurs ça m’manque.
- parce que c’est toi qui les portes le mieux.

- j’espère pas non plus,
- je voudrais pas me sentir responsable si tu vomis sur les géraniums.

y'a l'appréciation dans la seconde
puis dans l'autre
et dans l'autre
et dans l'autre

la vive allure sans moindre mesure
la plus belle biture
l'autre qui s'accroche au téléphone
y'a la sensation fantôme d'avoir la nuque de roman entre les doigts
la serrer
un peu
la faire venir
un peu
l'étreindre
beaucoup

- ouais,
- ouais,
- ça m'manque aussi,
- les théâtres,
- ouais,
- j'veux faire l'tour de tous les théâtres,
- ça m'semble un bon projet avant d'être trop vieux pour,
- comme l'mariage,
- comme l'appart' à san francisco,
- comme -
- j'allais dire un chien,

- mais t'sais quoi roman ?
- la vérité,
- c'est qu'j'ai peur des chiens.

y'a le rire qui décolle

- ah,
- putain,
- tu m'manques,
- les deux patchs pour tes cernes,
- mes huit patchs pour la clope,
- ça fait trop d'patchs sur deux personnes,
- mais ok,
- et tu m'manques,
- constamment.

silence

- ça m'travaille à fond les turbines,
- et y'a qu'les madones qui chialent,
- pour jésus,
- ou du sang dans les films d'horreur,
- j'vais les prendre tes larmes,
- dans une bouteille,
- ou faire un transfert,
- possible tu crois ?
- ouais pourquoi pas.

l’essaie pas d’imaginer à combien de bouteilles ils sont,
pour qu’ils lui disent tout ça.
à presser le bouchon en liège dans le mauvais sens.
à faire une averse de rien dans un liquide marron-beige.
quatre ans et il a jamais admis avoir peur des chiens.
quatre ans et il a jamais admis avoir peur de l’eau.

peut pas admettre,
peut pas casser l’ambiance qui balance un gros haut les cœurs avec un puissant coup dans le nez;
le théâtre- oui.
faire le tour, de toutes ces scènes sans jamais y poser le pied.
se transposer. dire j’y étais, j’y suis ou j’y serai.
dire: plus jamais.

- tout comme tu veux.
- et si t’as peur des chiens, on prendra un chat
- ou un lapin,
- ou un cochon d’inde ou bien un truc qui bouge que j'peux foutre sur instagram.

- enfin tu vois quoi.

silence.

- comment j’peux te manquer constamment?
- ça fait des semaines que j’te quitte pas d’une semelle.
- une vraie ventouse.
- vraiment c’est gênant.

- j’sais pas ce que tu racontes, siva, de quel transfert tu causes?
- et pourquoi tu voudrais d’mes larmes?

l'aurait au moins l'utilité
d'une éponge qui serait pas immédiatement à jeter
faire eau
océan
mer
mer-océan
océan-mer
du sel des vagues la houle la tempête
tout condenser
l'aurait au moins l'utilité
de faire bouteille en plastique à recycler

- j'sais pas,
- c'est scientifique,
- là v'là l'excuse ultime,
- quand j'sais pas,
- c'est scientifique,
- l'manque petit et grand format,
- j'sais pas,
- maaaais -

silence
l'a le fil coupé par les moires
même s'il respire
y'a la pensée en exile sur un bout d'île
le rire de tout et de rien
pose son cul sur le trottoir
tant pis si ça fait dépotoir
s'il a la même classe qu'un balancé de boîte pour avoir peloté le cul de la serveuse
s'il a la même dégaine d'un dévasté par la haine

- ouais,
- j'sais plus c'que j'disais,
- on dirait,
- qu'il est mille heures de l'an mille.

silence

- p'tain,
- j'vais rentrer à pieds,
- z'ont plus b'soin d'moi là,
- j'vais rentrer à pieds,
- faut que j'te vois.