— fowler me // SWANN —

T'as une question qui tourne en boucle dans ta caboche. Est-ce que tu vas te prendre une raclée ? Non parce que ce serait peut-être mérité vu comment tu te pointes. Pizza dans une main, pack de six dans l'autre, t'arrives comme une fleur, comme si t'avais quitté Swann y'a trois jours. Mais non, c'était y'a six ans. C'est long, t'étais encore un môme, vous étiez des mômes. Tu t'souviens des conneries que vous faisiez. Toujours à faire le mur pour faire les cons. Swann c'était l'un de tes meilleurs copains, tu pourrais pas dire si c'est toujours d'actualité parce que bon, y'a des années qui vous sépare maintenant. Mais t'as quand même été un bon pote, tu lui envoyais une fois par semaine une photo sans aucun sens. Un chien endormi dans une position très étrange, le numéro d'une pute écrit sur les toilettes d'une boite, ou un vieux monsieur sur une moto. Bref, le moindre truc qui te faisait rire tu prenais un cliché et t'envoyais à Swann.

Et là t'es devant chez lui. T'as pris un taxi pour venir car t'as pas de bagnole. Putain, t'as raqué pour lui, entre la route, la pizza et le pack, t'espère au moins crécher chez lui ce soir hein. Tu frappes à la porte avec quand même une sacrée boule au ventre parce que con que t'es, t'as absolument pas prévenu Swann de ton retour en ville.

- Monsieur Fowler ouvrez, c'est le facteur.

Et dès que la porte s'ouvre t'as un sourire de con. Il a grandit, c'est plus un ado, mais bon toi non plus en même temps. Pourtant il a toujours cette gueule de gamin accroché au visage.

- J'viens livrer le plus beau mec de la région : moi.

tic tac boom et je m'écroule tic boom
comme un arrière goût de tristesse dans la gorge

le facteur, il passe pas à c’t’heure là habituellement. aussi t’es persuadé qu’ils ont embauché un bleu bite pour la saison d’été, qui s’est perdu pendant sa tournée. alors quand t’ouvres la porte prêt à recadrer le minot égaré, y’a un bug qui s’propage dans le cerveau et parasite les connexions neuronales. tu l’reconnais immédiatement, sans savoir très bien pourquoi. son visage carré, ses yeux noisette, ses narines disproportionnées, ses pommettes saillantes, même ses putains d’sourcils. t’en crois pas tes mirettes, comme un mirage formé sous le porche. le cade, en chair et en os, qui se tient sur le paillasson comme s’il rentrait de mission après six ans passé en afghanistan. là peut-être, tu l’aurais accueilli les bras ouverts, en lui proposant un verre et une partie de call of duty. comme au bon vieux temps, sans les inconvénients de devoir s’planquer pour siroter le whisky hors de prix de papa fowler. pourtant tu fais rien de ça, les opales imperturbables qui le scrutent silencieusement. c’est juste que t’es pas prêt à la confrontation brutale qu’il t’impose. à voir débarquer cade sur ton palier la bouche en coeur et la gueule enfarinée. avec son air d’imbécile heureux imprimé sur le visage, comme s’il s’attendait à c’que tu le prennes dans tes bras pour fêter le retour triomphale de l’enfant prodigue. tu sais qu’il sait, que t’aimes pas les surprises. alors pourquoi il t’a rien dit c’t’enfoiré ? rien dit quand il part, rien dit quand il revient. il a vraiment rien compris cet abruti, rien retenu. il a peut-être voulu donner un effet miroir à son histoire. la vérité c’est que t’es à deux doigts de lui claquer la porte au nez, le traiter de pauvre tocard en hurlant, lui filer un coup d’boule gratuit. mais à la place, tu demeures parfaitement stoïque et le lorgnes d’un regard placide. t’es qui ducon ? j’connais pas de “moi”, et t’es clairement pas l’mec le plus beau de la région. parce qu’évidemment, c’est toi qui occupes cette position. n’empêche qu’il a pas mal grandi ce p’tit bâtard, le genre que tu baiserais bien s’il était pas aussi con. mais t’es suffisamment habitué à retenir les émotions pour faire illusion, donner l’impression que tu n’parviens pas à remettre son nom sur le visage d’adulte. juste pour l’faire chier. six ans, c’est long.

@cade ingham

Please don’t expect me to always be good and kind and loving. There are times when I will be cold and thoughtless and hard to understand.

Tu restes sur le cul. Ça se voit sur ta gueule même. T'es là comme un idiot, alors que tu sais pas si Swann se fout de toi ou pas. Il t'a peut-être reconnu et se venge à faisant genre que non, après tout venant de lui ça n'aurait rien d'étonnant. Mais bon, ça fait aussi six piges que tu l'as pas vu alors c'est plausible qu'il ne te reconnaisse pas. Alors t'es là comme un con, à te demander si on te joue une farce nulle ou pas.

- Heu.. ?

Puis y'a un petit sourire qui se dessine, bien que peu assuré. Tu lèves la pizza, tu lèves le pack. T'espères que... rien en fait. Tu sais pas trop. Que Swann t'accueille ? Qu'il t'envoi chier ? Dans les deux cas tu vas pas savoir comment réagir. T'aurais pas du venir, mais bon maintenant que t'es là...

- Te fous pas de moi, jamais tu pourras oublier ma gueule. Je sais que tu m'as toujours trouvé irrésistible.

Que tu dis en riant. Utiliser l'humour pour cacher ta lâcheté. Ta peur. Mais voilà, c'est pas facile devant Swann parce qu'il te connait depuis toujours. Alors tu soupires, t'hausses les épaules.

- J'le mérite j'sais bien. Mais rend pas les choses plus difficiles putain... J'savais même pas si j'pouvais me pointer là. J'savais même pas si t'allais me tirer dessus à la carabine ou pas. Alors on peut mettre pause ? Genre on dit que y'a pas eu les six ans. Qu'on s'est vu hier, et qu'on se revoit aujourd'hui juste pour boire, bouffer et jouer à la play ? Au moins pour cinq minutes. Juste cinq minutes.

tic tac boom et je m'écroule tic boom
comme un arrière goût de tristesse dans la gorge

cade il s’imagine vraiment que tu vas faire comme si rien ne s’était passé ? que tu vas l’prendre dans tes bras pour le serrer et le réconforter d’une tape dans le dos ? c’est qu’il te connaît encore plus mal que tu le pensais, ce bouffon. mais en même temps tu le vois mal adopter une autre technique que celle de l’innocent, il a toujours été doué pour faire l’autruche. seulement lui a essayé de garder le contact, même si c’était pour te bombarder de photos à la con de merde de chien et de lampadaire en clair obscur. à force d’obstination, t’as fini par lui adresser d’autres sms qu’un “lâche-moi trouduc”, “smiley fuck”, “ton frère s’est suicidé”. la vérité c’est que t’es passé outre son départ précipité y’a bien longtemps, mais t’apprécies pas que cet enfoiré n’ait pas retenu la leçon. que cette fois encore, il ne t’a pas tenu informé de ses intentions. putain pourquoi t’es jamais au courant de rien, vous êtes pas censés être des amis ? pas juste des potes, des connaissances, mais des gars qui n'se sont pas quittés d’une semelle pendant des années avant qu’il s’évapore. ça devrait signifier quelque chose, ça devrait te donner le droit de savoir qu’il revient en ville, quand il revient et pourquoi il revient. enflure.
t’as les yeux qui se braquent sur les offrandes ramenées qu’il fait valoir en les soulevant dans les airs, agrémentées d’une vanne. clairement, t’obsèdes mes nuits depuis six ans connard. t’esquisses toujours pas le moindre sourire, conserves ta gueule de mec blasé pendant qu’il se justifie comme un manche à balai. mettre sur pause, comme si vous n’étiez que des gosses en train de jouer à trappe-trappe et qu’il levait le pouce en l’air pour obtenir une bulle de sérénité le temps de reprendre son souffle. t’as au moins eu la décence d’apporter des bières et de la pizza. tu reconnais en soupirant avant de t’emparer des victuailles pour le soulager. merci. et avant qu’il ait pu faire un pas à l’intérieur, tu lui claques la porte à la gueule en emportant les pizzas et le pack de six sur le plan de la cuisine. tu patientes quelques secondes, le cerveau qui carbure. lui faire payer ou le pardonner, telle est la question. mais après tout, t’es pas obligé de te décider là, tout de suite. tu peux toujours profiter du moment et lui en faire baver après, pas vrai ? alors t’ouvres la porte à nouveau et la laisses entrouverte en espérant qu’il soit toujours sur le palier. cinq minutes c’est suffisant pour t’éclater à tekken. t’annonces en te dirigeant vers les cartons chauds que tu soulèves, ignorant l’alcool qui lui reviendra nécessairement. t’as pris quoi comme pizzas ? ça sonne presque comme une menace alors que t’entames les marches de l’escalier vers l’étage, comme si sa réponse pouvait te faire instantanément changer d’avis et lui imposer un retour à la case départ.

@cade ingham

Please don’t expect me to always be good and kind and loving. There are times when I will be cold and thoughtless and hard to understand.