— CAWR INGHAM || JAZZ POPE —

« Faut qu’on parle Cawr, c’est super sérieux ! »
Le problème avec Soso, c’est que c’est toujours super sérieux, même les conneries le sont à ses yeux. Parce que Soso s’imagine être le centre de l’univers, du tien principalement. Tu te donnes pourtant du mal pour lui faire comprendre que c’est faux, mais il faut croire qu’elle t’a dans la peau. Toi aussi sans doute, sinon tu ne la laisserais pas venir t’emmerder comme ça alors que t’es en train de vider le chevreuil que vous aviez tué ce matin même, avec ton père. Ce n’était pas toi qui avait tiré, mais bizarrement les tâches ingrates te revenaient toujours et les mains couvertes de sang, la casquette posée sur tes boucles brunes, tu reniflais avec dédain. Soso, tu as beau lui faire des sales coups, elle ne se lasse pas. Ses bras autour de tes épaules, elle te couvre le cou de baisers qui ne font que t’agacer. “Oh mais dégage, j’suis occupé-là !” Tu la dégageais d’une main sur l’épaule, laissant une traînée rouge sur son t-shirt. Parfois, tu te demandais pourquoi tu continuais à la voir, tu lui donnais toujours de faux espoirs, mais en même temps, toi et Soso, c’était une histoire qui durait depuis toujours, avec des hauts et des bas. Et puis, elle ne t’avait pas laissé tombé, elle. dans son regard, tu n’avais pas l’impression d’être un handicapé. Tu ne voyais pas non plus la pitié dans ses yeux, sinon elle ne continuerait pas à te faire chier comme avant. Autant de séparations que de réconciliations. Peut-être qu’au fond de toi, tu l’as toujours aimée, à ta façon, mal. En même temps, vous deux ça a été un peu par défaut, puisqu’elle vivait juste à côté. C’était plus facile pour se voir que de devoir traverser la ville. Combien de fois, t’avais sauté de ta fenêtre pour essayer de grimper jusqu’à la sienne ? Et combien de fois elle avait refusé de t’ouvrir, ou seulement pour te faire un doigt d’honneur ? T’as souvent eu à te faire pardonner, pour l’avoir ignorée, trompée ou frappée. A moins que ce soit l’inverse, combien de cailloux avait-elle jetée contre ta vitre, pour espérer pouvoir te parler ? Au fond, ça n’a jamais été que ça entre vous. Vous ne savez pas vous aimer, encore moins vous respecter, bande d’handicapés !

« Je te quitte, de toute façon. » Tu laisses tomber la nouvelle comme une bombe et le regard perdu dans les entrailles de l’animal, t’attend qu’elle percute. Elle met du temps, ce n’est pas la plus fute-fute. Elle se met à tirer la gueule, puis efface cette vilaine grimace pour tenter un sourire rassurant. Probablement pour se persuader que ce n’était rien, que tout irait bien. « Et alors, tu me quittes, je te quitte, on en revient toujours au même point ! » Peut-être pas cette fois. Tu finis par la regarder, croiser son regard puis fixer la maison de Jared en face avec l’autre con qui passait la tondeuse. « Nan, pas cette fois » Tu le dis comme si ça ne t’atteignait pas, ça fait des années que ça devrait être le cas. Et puis au fond, tu te dis que c’est mieux comme ça, parce qu’elle ne pouvait pas s’accrocher à toi quand tes propres parents ne t’aimaient pas. Quand tu ne t’aimais pas. C’était pas possible qu’elle le fasse vraiment. Et puis, elle valait mieux qu’un mec fichu à seize ans, un gars plus capable d’escalader les clôtures, courire à travers le terrain ou même pédaler à en fendre le vent. Et puis, tu n’avais rien à lui offrir, juste de la déception. Un peu comme celle que tu pouvais lire dans le regard de tes parents. Celle de Maman qui n’a jamais voulu de garçons par exemple. Elle qui rêvait de princesses, quelle n’avait pas été sa déception ! Vous n’avez jamais été proches et pourtant, t’avais tout tenté pour te la mettre dans la poche ! Les câlins et les gros chagrins, les colères puis le calvaire. Au fond, c’est sa faute à elle, si t’es devenu comme ça. C’est elle qui t’a brisé, pas papa ! Lui au moins, il s’intéressait à toi. Peut-être pas pour ce que tu étais, ni pour ta personnalité, mais au moins il te voyait et parfois, tu pouvais même l’accompagner ! Il t’a appris à chasser et dépecer. Il t’a appris la discrétion et la réflexion. Il pouvait être dur et même te casser la gueule ou te casser les ailes, lui au moins ne te laissait pas seul. Il t’avait brisé, mais le temps d’un instant, tu avais eu assez d’importance pour lui pour le faire disjoncter. Tu le haïssais pour ça. Et tu l’aimais aussi.

« Et donc, tu me jettes juste comme ça ? »
La voix de Soso part dans les aiguës et elle te fait mal à planter ses ongles dans ton bras, tu te dégages d’un mouvement sec. « Arrête ça ! ». Tu détestes ça, quand elle s’accroche et fait le bébé. Manquerait plus que tu vois ses larmes briller ! Soso, à la réflexion, tu la préfères quand elle joue à la pétasse et qu’elle te fait ramer pour la récupérer. « C’est à cause de ton cul, t’as grossi » finis-tu par marmonner. Les moments déchirants, ça n’a jamais été ton truc, en réalité. Tu préfères dire salut, et partir comme si demain vous alliez vous retrouver. Pas cette-fois. Ou peut-être que si, ta détermination variait d’une heure à l’autre. Le regard tourné sur Soso, tu voudrais avoir les mots pour lui dire, que c‘est fini. Parce qu’elle ferait mieux de se trouver quelqu’un de mieux, parce qu’elle ferait mieux de se trouver quelqu’un de bien, qui la rendrait heureuse. Au pire, elle n’aurait qu’à retourner sucer ce connard de Dave. Ce con qui était venu te le raconter, pour te mettre en rogne ou se pavaner, tu n’en savais trop rien, mais quand tu avais tiré sur son chien, il n’a plus fait le malin ! Ouais, Soso s’en remettras, il y a des choses qui ne t’inquiètent pas. Alors d’un sourire vilain, tu lui posais le coeur du chevreuil dans les mains “Tiens, comme ça tu pourras dire qu’il y a quelqu’un qui t’a donné son coeur, tu commences à faire pitié sinon”