— RUBY EAKIN || LIZ GILLIES —

A cinq ans, tu voulais faire du foot. Papa voulait que tu fasses du foot, aussi. Parce que sa fille, c’était un bonhomme, il parait. Mais à Twadogs Hill, y’a pas vraiment d’équipe de foot féminin et tu t’es retrouvée au milieu d’une bande de gamins méchants. T’as pas tenu dix minutes sur le terrain avant d’en frapper un. T’as visé droit entre les jambes, comme Roman te l’avait dit et t’as été exclu du terrain. Papa s’est dit que tu pourrais faire de la boxe, alors mais maman n’était pas d’accord. Elle a toujours voulu te voir faire de la danse, il parait, et tu t’souviens encore des rires moqueurs de tes frères quand ils t’ont vu en tutu rose. T’as essayé d’viser entre les jambes de Reese, du coup. Finalement, la danse, tu as bien aimé, alors t’as continué, Ruby. À huit ans tu réveilles ta mère au milieu de la nuit en hurlant. Quand elle est entrée dans ta chambre, tu peinais à respirer et elle a bien cru qu’t’allais crever. C’était qu’un cauchemar, juste un simple cauchemar. Ça a recommencé la nuit suivante et celle d’encore après. Maman voulait t’emmener voir un psy, papa disait que ça passerait, qu’y’avait aucune raison, que tu n’étais pas plus folle que les deux autres. A treize ans tu annonces à ta famille que plus jamais tu ne mangeras de viande. Ton père manque de se décrocher la mâchoire, Roman se marre. Ça durera pas une semaine, t’aimes trop les merguez. il n’a pas tort, pourtant douze ans plus tard, tu continues à les faire chier aux repas de famille. Même si, il faut bien l’avouer, y’a toujours un peu de bacon dans ton frigo, juste au cas où…A quinze ans tu décides un matin de te teindre les cheveux. Cette fois-ci, c’est maman qui manque de faire une syncope en voyant tes mèches de jais. C’est l’adolescence, il parait. T’as arrêté d’porter de la couleur et commencé à écouter tokio hotel en boucle. Quand Roman et Reese veulent se foutre de ta gueule, ils ressortent les photos compromettantes. Les meilleurs sont celles où tu fais la gueule dans ton justaucorps de danse. Personne n’avait jamais vu une ballerine-emo à Twadogs Hill.A dix-huit ans tu termines le lycée. T’as toujours été dans la moyenne basse et t’savais qu’aucune fac ne voudrait de toi. T’as même pas postulé -mais faut pas l’dire à ta mère, elle passait ses journées devant la boite aux lettres, à l’époque. T’as toujours su ce que tu voulais faire, Ruby : danser. Alors t’as cherché un travail et t’as économisé, pendant trois ans. A vingt-deux ans, t’as finalement eu assez d’argent de côté pour partir, attrapant du bout des doigts cette liberté tant espérée. T'as pris le bus, un matin, pour les rues pavées de San Fransisco, cette ville tant aimée par ton frère. Tu n'sais pas vraiment pourquoi tu l'as choisie, elle. Débrouillarde et motivée, tu trouves un appartement -miteux- et entres enfin dans le ballet de San Fransisco. enfin, tu avais l’impression, vraiment, qu’t’es rêves allaient se réaliser.

A vingt-trois ans tu rentres chez toi, les épaules et le cœur lourds. T’as rien dit à personne, rien dit tout court pendant une semaine avant d’finalement chercher du travail, ici, à Twadogs Hill. Il n’était plus question de danse, simplement de t’oublier.A vingt-quatre ans, tu manquais cruellement d’argent et tu galérais à payer ton loyer. Tu t’es souvenue de c’qu’il t’avait dit, l’autre, à San Fransisco, et t’as fini par t’inscrire…