— spooky coffee (swann) —

c’est mort. le désert. dépeuplé. plus rien à faire, tellement que tu pourrais t’barrer l’air de rien, laisser juno gérer la fermeture comme une grande si elle n’était pas aussi inexpérimentée. encore trop tôt malheureusement, pour t’faire la malle. un retardataire qui pourrait bien débarquer pour commander un café, ruiner tes espoirs de paix. téléphone entre tes doigts que tu consultes, yeux braqués sur l’horloge dont les minutes s’égrainent bien trop lentement. moment que ta collègue choisit pour adopter sa voix la plus mielleuse, réclame une histoire comme un gosse couché sous les couvertures. t’as cru que j’étais père castor ou quoi. non swann, t’as vraiment mieux à faire ce soir, que lui raconter la vie de ta grand-mère. si t’avais quelque chose à espérer tu ferais peut-être un effort, mais le café est déjà nettoyé au centimètre carré. aucune tâche ingrate à troquer contre une fable de mamie sorcière. et c’est surtout que “freddie”, attend ta venue dans moins de deux heures dans sa baraque du west side. probablement un autre connard, mais t’es habitué à l’exercice. alors tu n'voudrais pas risquer de te mettre en retard, de traîner au café avec elle et manquer une étreinte éphémère. pourtant elle revient à la charge la môme, insiste. p’tain t’es tenace toi, c’est quoi qu’tu veux autant savoir ? parce que soyons honnêtes, t’avais jamais réellement eu l’intention de perdre de ton précieux temps pour déchiffrer les sillons creusés dans la paume de sa main, chantage opéré avec pour unique objectif d’être épargné d’une corvée de serpillière. d’ailleurs, ça avait fonctionné à merveille, et tu t’étais délecté de l'observer récurer le plancher pendant que tu t'remplissais le gosier d'un beignet aux pommes. si tu vas emballer l’mec que tu kiffes en secret ? t’es certain que c’est tout à fait les préoccupations des meufs de son âge. même de juno qui s’donne un genre garçon manqué, s’planque sous toutes ces couches d’artifice pour faire comme si ces considérations lui importaient peu. convaincu qu’au fond, elle est comme toutes les autres gamines. à baver devant les disney, griffonner le nom d’son crush du moment sur les pages de son agenda entouré d’un gros coeur. peut-être même qu’elle a écrit une lettre d’amour jamais envoyée, glissé dans un casier une boîte de chocolats pour la saint valentin, gravé des initiales au cutter sur sa planche de skate. putain ça, même toi tu l’avais fait. pas ta plus grande fierté. t’sais pour ça tu peux envoyer “amour” au 49 218. tu t’fous d’sa gueule un peu, mais l’pire c’est que l’numéro que tu lui confies va vraiment répondre à sa question. c’est que t’as étudié la concurrence pour perfectionner tes prédictions, mais le service laisse clairement à désirer. du low coast, en même temps pour 0,35 cents le sms, fallait pas trop s’étonner. tu viens t’accouder au comptoir à côté d’elle, les prunelles fixées dans sa direction. allez dis-moi baker, c’qui te taraude à c’point ? tu jugeras swann, si ça vaut qu’un passage de serpillère ou si tu dois monnayer ça plus durement.

@juno baker

du temps. ça te coûte du temps. et si elle a déjà capté que t’étais pas le genre de type sympa qui rend service de manière spontanée, pourquoi elle insiste autant ? c’est qu’elle doit avoir des idées obsédantes auxquelles elle voudrait apporter des réponses, comme un crush inavoué dont elle mate la photo prise à son insu sur son téléphone tous les soirs avant de s’endormir. et swann, t’es trop bon observateur pour ne pas déchiffrer les variations sur son visage, dans ses prunelles. l’inconfort soudain suscité par tes mots, le teint empourpré des pommettes. busted tu pinces ta lèvre entre tes dents, sourire qui s’esquisse légèrement. j’aurais presque pu gober, si t’avais pas viré au rouge comme une ado en pleine crise hormonale. d’ailleurs, quel âge elle a ? tu t’en souviendrais si l’information avait été donnée, même si tu n’aurais probablement écouté que d’une oreille distraite. c’est seulement que tu ne t’es jamais donné la peine de demander, détail qui n’a jamais retenu ton intérêt. à vrai dire tu sais peu d’choses sur la rousse, à part qu’elle aime avoir une dégaine atypique et qu’elle pratique le skate. tu vas simplement à la pêche en la taquinant, comme si tu pouvais lire dans ses pensées. insinuations qui semblent la gêner. c’est pas très grave de kiffer quelqu’un, tu trouves ça même plutôt sain. presque mignon. tant que ça n’t’arrive pas à toi, l’expérience ayant démontré qu’il n’en ressort jamais rien de bon. malheureusement, t’es une putain d’boule à émotions sur pattes. en réalité y’a pas d’âge pour refouler ce genre de sentiments trop forts qui assaillent le coeur souvent sans prévenir. et si elle se retranche dans le déni, c’est probablement précisément ce qui est en train de lui arriver. t’as presque envie de poser ta paluche sur son épaule et lui certifier que tu compatis, comme un frangin bien intentionné. pourtant tu t’contentes de recevoir la suite, questionnement existentielle de la môme égarée. ok, ça rentre largement dans tes cordes de charlatan. c’est suffisamment vaste pour que tu puisses envoyer de la fumée, énoncer des prédictions qu’elle aura probablement oubliées au moment où elle sont censées intervenir. tu te laisses presque attendrir swann, à moins que ce soit ton désir d’attention. c’penchant à te délecter des visages dans l’attente qui boivent tes paroles comme si t’étais un intermédiaire divin, une sorte de messie privilégié, détenteur de clés inaccessibles à d’autres. la jubilation de pouvoir influencer l’existence de pauvres naïfs, et récolter un tas d’informations très personnelles dans le processus. le genre qui comble ta curiosité malsaine, l’envie de tout savoir pour anticiper, manipuler, les tenir par les couilles. qui sait, peut-être qu’un jour t’auras besoin qu’elle nettoie encore le sol pour toi. alors tu feins un soupir de contrition. ben moi c’qui m’attend c’est un rencard, t’sais ce que c’est un rencard ? t’en as déjà eu au moins ? question rhétorique, tu mettrais ton orteil à couper que non. pas qu’elle soit vilaine la gamine, mais le genre à être friendzonée naturellement, habituée à s’fondre parmi les mecs comme un caméléon. donne ta main droite et précise un peu tes attentes. tu tends la tienne pour recevoir ses doigts. genre si y'a un domaine en particulier pour lequel tu voudrais des réponses. la santé, l'boulot, la famille, la renommée. étirement amusé des lippes. autre chose que l'amour j'veux dire, puisqu'apparemment c'est pas ça qui t'intéresse. pas vrai juju ?

@juno baker

c’est faux, qu’elle rougit pour un rien. c’est toujours, pour un petit quelque chose. même si elle n’a pas besoin de beaucoup, ça ne signifie pas qu’elle rougit sans raison. au contraire, ça la trahit quasi systématiquement. ça doit être un peu frustrant, d’être aussi lisible. mais tu dois bien avouer, que t’envies cet aspect d’elle. t’aimerais parfois, avoir un signe distinctif aussi clair pour qu’on puisse comprendre tes intentions malgré les mots prononcés. ce serait peut-être plus facile. tu renonces à la titiller davantage sur le sujet jusqu’à ce qu’elle ouvre la bouche, ricanes doucement. tu pourrais bien lui raconter n’importe quoi pour la convaincre de te glisser un sale secret, mais t’as comme l’impression que le sujet coeur est un peu trop sensible pour le moment. tellement que la gamine détourne carrément la conversation sur toi, profitant de ta confession. maligne. très maligne. trop maligne. la vérité c’est qu’on ne peut pas vraiment appeler ça un rencard. t’as beau te foutre de sa gueule, t’es pas beaucoup plus connaisseur en la matière. seulement “rencard”, c’est plus court à prononcer que “plan baise pour ce soir”. ça sonne légèrement plus classe aussi, tu n’voudrais pas choquer les oreilles chastes de cette gamine inexpérimentée. elle pourrait bien aller baver ce qu’elle sait à jackie, déjà que t’as la réputation de choper des putains de mst, faudrait pas en rajouter. avec jackie, comment tu crois que j’ai eu c’boulot ? tu répliques sans te démonter, seul un léger frétillement des lèvres pouvant témoigner d’une plaisanterie foireuse. bizarrement tu trouverais ça drôle, qu’elle s’imagine que tu fricotes avec jackasscouilles, comme tu la surnommes dans l’intimité. puis la patte est déroulée pour se loger entre tes doigts alors que juju t’explique ses préoccupations du moment. et alors qu’elle te confie ses inquiétudes sur son avenir professionnel, tu laisses échapper des ronflements en faisant mine de t’endormir. t’as pas plus ennuyeux ? clairement, le volet des études n’est pas le plus amusant. c’est pas avec ça que tu vas apprendre un truc croustillant à te mettre sous la dent. et puis toi, t’es clairement pas passé par là. t’as toujours eu l’avenir tracé par ton père qui t’attendait, la fac de droit comme unique option. t’avais même pas hésité, pourtant tu regrettais chaque jour d’avoir cédé aux attentes du paternel dans l’espoir de recueillir une approbation à laquelle t’aurais dû renoncer depuis bien longtemps. j’te signale que c’est toi qui m’as demandé, tu vas pas commencer à grogner maintenant. tu lui reproches alors qu’elle remet en doute tes capacités de chiromancien. tu plisses le front en penchant légèrement la tête au dessus de sa paume, le pouce de ta main libre qui vient tracer des lignes invisibles sur le derme exposé. tu seras moins souvent à twadogs, mais pas loin. dans une ville où t’attend ton avenir, où tu rejoins quelqu’un. tu débutes tes prédictions à la con, l’air absorbé par ta contemplation. tes choix professionnels dépendent de cette personne, comme si tu … la suivais. tu relèves le nez, feins la surprise. oooh ok, en fait t’es une stalkeuse c’est ça ? tu vas genre chasser un gars qui bosse dans une autre ville ? c’est pour ça que t’as rougi ? tu t’marres swann, tu ne peux pas t’empêcher de remettre cette histoire sur le tapis. mais bon, pas la faute du messager si sa main lie intimement vie professionnelle et vie amoureuse.

@juno baker

juno respecte ta réponse, ne s’aventure pas plus loin dans ta vie privée. t’apprécies, même si t’es incapable de lui rendre la pareille. bien trop curieux pour ton propre bien swann, t’es incapable de ce genre de politesse. ou alors quand le mal est déjà fait, quand c’est trop tard. quand t’as déjà trop saoulé, quand tu t’fais réprimander. quand t’as plus vraiment le choix, en somme. l’obsession maladive de tout connaître, tout savoir, tout décortiquer. pour ça, tu n’connais pas de meilleur moyen que converser autour d’une main. à part sans doute picoler jusqu’à ce que la conscience s’étiole suffisamment, fasse disparaître assez de barrières pour que les confessions soient glissées à ton oreille. mais t’imagines mal juju se laisser tenter par une bouteille de gnôle que tu lui tendrais. elle est trop maligne pour se faire piéger de façon aussi banale. pour elle, tes talents de madame irma sont plus appropriés. en réalité tu n’imagines pas faire des miracles avec elle, tu la vois plutôt comme une gamine paumée qui se raccroche de façon un peu désespérée à la première branche qu’elle peut trouver. alors si elle prétend accorder du crédit à ce genre de prémonition, tu t’attends en fait à ce qu’elle déniche une faille, oppose son cynisme ou finisse par te traiter de crétin. sauf que swann, c’est l’inverse qui se produit. tu le distingues parfaitement dans les iris que t’as appris à étudier méticuleusement, dans cette attente trop longue pendant laquelle elle est privée de réaction. tu sens qu’elle s’égare, qu’elle carbure, qu’elle cherche des réponses cohérentes qui pourraient s’adapter à tes mots. est-ce qu’elle trouve ? est-ce que ton bullshit parvient à parasiter son cerveau ? t’y crois, t’y crois à fond avant qu’elle lâche la conclusion insatisfaisante de son analyse. ta mère ? tu répètes, la déception qui fait frémir le timbre de voix. c’est à sa mère qu’elle pense là, tout d’suite ? non c’est nul, c’est bien trop nul comme réponse. pas de croustillant à se mettre sous la dent. pourtant tu te trompes rarement, t’es persuadé de l’avoir sentie flancher, d’avoir capté cette variation, ce trouble, ce petit quelque chose qui la remue un peu plus que ça ne devrait. et puis les interrogations qui suivent, démontrent clairement son intérêt pour cette prédiction. comme si elle s’attendait à ce que tu lui craches un nom. alors t’attrapes sa seconde main entre ta paluche sans lui demander la permission, la scrutes et sembles chercher des correspondances. j’crois pas que ce soit ta mère. ça peut pas être sa mère. c’est quelqu’un qui appartient à ton passé tu vois là, on retrouve la même fourche. tu repasses un embranchement sur l’une des lignes, qui ressemble assez à celui de son autre paume. comme si cette trace marquait leur rencontre, quelque part au début de sa ligne de vie. donc je dirais que tu connais déjà cette personne, mais depuis moins longtemps qu’un membre de ta famille. clairement, faut quelque chose d’un peu plus intriguant. t’hésites à aller un peu plus loin, lui donner un genre ou même une lettre de l’alphabet. mais swann, tu ne voudrais pas éveiller les soupçons de la rousse. elle est visiblement suffisamment crédule pour gober tes conneries, mais tu ne feras pas l’erreur de trop exagérer et insulter sa lucidité. ça t’évoque vraiment rien ? tu relèves le nez pour lui ouvrir une porte, essayer de lui arracher la vérité du fond du gosier. moi j'crois que tu sais déjà qui c'est. au pire, t’auras planté un graine qui germera sûrement, le début d’un petit jeu qui t’amusera sûrement à l’occasion.

@juno baker