— Micaela Boher || Sasha Kichigina —

Les écouteurs dans les oreilles, tu appuyais sur play d’un mouvement de doigt avant de remonter tes yeux noirs sur ton reflet dans le miroir. Épais cheveux autour de ta tête comme une auréole de médiocrité, mâchoire carrée qui aurait pu faire rêver les filles si tu avais été un mec, la poitrine plate comme une piste de ski et le regard torve, tu aurais tout donné pour ne pas être cette fille en face de toi. Pourquoi étais-tu fade quand Manola semblait plus étincelante que le soleil lui-même ? Pourquoi étais-tu ici quand Balt ne l’était plus ? Combien de fois avais-tu souhaité avoir disparu à sa place ? Tu soupirais en ravalant ta mélancolie et tu croisais les bras sous ta poitrine en espérant remonter un peu tes seins qui n’en avaient que le nom. Le visage incliné et lèvres entrouvertes, tu espérais évoquer un tant soit peu de la séduction. Le regard dardé dans ton reflet, tu tentais de remonter le coin de tes lèvres. Un sourire. Ce n’était pourtant pas si difficile. Tout le monde était capable de sourire. De faire semblant d’être heureux. Pourquoi tu ne le serais pas d’ailleurs ? Nommée voltigeuse dans l’équipe, tu étais prête à toucher les étoiles, non ?
Les étoiles pourtant, tu avais l’impression de ne jamais pouvoir les atteindre. Tu n’étais pas assez belle pour espérer briller parmi elles. D’une main, tu tentais finalement de replacer une mèche derrière ton oreille. La mèche revint exactement à sa place, dans le même désordre, le même fouilli. En réalité, rien ne changerait jamais avec toi. Tu serais toujours la dernière des Boher, invisible au mieux, paria au pire. Et pourquoi déjà ? Qu’avais-tu fais de travers pour être si mal considérée ?
Poussant un dernier soupire, tu attrapais ton t-shirt pour l’enfiler par dessus la tête et d’un mouvement sec, tu remontais ton jean sur tes hanches étroites. Ce jour encore serait un jour sans éclat, mais ce serait toujours mieux qu’un jour cata !


La lanière de ton sac par dessus ton épaule, tu traversais le couloir du lycée, le regard perdu dans le vide, n’osant se poser nul par de peur de titiller des susceptibilités. Tu voyais un peu plus loin l’étonnant trio que formaient Rhiannon, Juno et Ariel et dans ton esprit, tu te demandais “Où est Bianka ?” Une question qui resterait sans réponse, parce que tu n’étais jamais au courant de rien et tu n’aurais jamais l’audace de parler de votre ancienne voltigeuse à qui tu avais volé la place, selon elles toujours. Soudain bousculée, tu tournais le visage vers l’élève qui ne fit même pas semblant d’être désolé. “Bouge !” fit-il avant de s’éloigner en boitant, rejoindre quelqu’un. Soso probablement. Tu soupirais, mais tu obtempérais, te remettant en chemin vers ton casier où quelqu’un avait trouvé drôle de dessiner un chat. L’envie de vomir te noua la gorge au souvenir de la pâtée qu’elles t’avaient fait avaler. Dégueulasse. Tu avais brossé tes dents vingt fois au moins, croquant le pain de savon pour espérer te débarrasser du goût. Et Papo qui t’avait demandé ce jour-là si tu étais heureuse d’avoir rejoint l’équipe. Tu avais fondu en larmes, le visage caché entre tes mains. “Ce sont des larmes de joie…” avais-tu haleté, dans ton désir ardent de ne jamais le voir perdre son sourire bienveillant.
Refermant le casier, tu jetais un nouveau coup d’oeil vers le couloir bondé avant de faire demi-tour. Ce n’était pas grave, tu signerais toi-même le mot dans ton carnet.


Loin de l’école, loin des emmerdes, le son pulsé dans les oreilles et les yeux clos, tu ondulais ton corps au rythme du son, coups de hanche en rythme des percussions, les bras ondulés au dessus de ta tête, tu n’étais plus vraiment toi-même. Tu n’étais plus seulement en train de danser, tu étais la danse. Qu’importe s’il te fallait t’isoler dans une clairière pour retirer le masque et laisser ton coeur bâillonner ton esprit. Tu bougeais sans te soucier de rien, tu dansais comme si plus rien ne comptait. Transportée au rythme du son, tu n’étais plus vraiment cette adolescente perdue et mal dans sa peau, tu n’étais pas non plus ton rêve ou ton fantasme, tu n’étais plus rien d’imagé, juste cette sensation d’être.
Quand la musique se coupa, brutalement tu reviens sur Terre, ouvrant les yeux pour découvrir avec agacement que tu n’avais plus de batterie. Tu avais sans doute oublié de charger ton portable la veille et tu jurais d’un “Fais chier !” avant de te laisser mollement tomber dans la mousse moelleuse qui sentait bon la nature. Les bras ouverts, tu laissais ton regard se perdre dans le ciel bleu. Il n’y avait rien pour tâcher le ciel à la couleur parfaitement uniforme. Si Balt était mort, tu le verrais quand même, briller quelque part dans le ciel, non ? Tu soufflais du nez. Est-ce qu’un jour, ta vie cesserait de tourner autour des grands absents de ta vie ? Est-ce qu’un jour, quelqu’un penserait à toi si tu venais à disparaître, toi aussi ?